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ZAYDANA

Si la sultane Zidana n'a pas sombré dans l'oubli, c'est grâce aux sources occidentales. Cependant, le portrait qu'on en a fait est loin d'être flatteur. Contrairement aux femmes précédemment étudiées, Zidana n'a pas œuvré dans lasphère politique dans un dessein public; quand elle l'a fait, c'était uniquement pour poursuivre des intérêts personnels. Mais cela va sans dire que tout en assurant ses privilèges et acquis, Zidana a eu un impact public. Dans ce sens, elle a contribué au pouvoir despotique de son conjoint, Moulay Ismail. Au prix d'une répression sanglante, celui-ci a régné en monarque absolu de 1672 à 1727, et a mené le Maroc à l'apogée de sa puissance.


Pour comprendre le rôle qu'a joué Zidana dans le règne de Moulay Ismail, rappelons que Lalla Aïcha, future Zidana, a été l'une des esclaves de Moulay ar-Rachid, frère du sultan Moulay Ismail. Très tôt, elle a su se faire remarquer par ce dernier. Certes, Zidana ne correspond pas tout à fait aux canons de la beauté. Cependant, elle a une intuition et une pénétration exceptionnelles. Elle a été donc capable de comprendre le sultan, ses ambitions démesurées et ses méthodes tyranniques. La préférant à une foule de belles jeunes esclaves, il va l'acheter à son maître et l'épouser. C'est ainsi que Lalla Aïcha devient la première des quatre épouses légitimes du sultan. De même, quand elle donne naissance à Zidan, premier enfant du sultan, elle devient la sultane Zidana.


En tant que sultane, Zidana a joué plusieurs rôles. D'abord, elle a contribué à assurer la sécurité de son conjoint. Par exemple, elle goûte elle-même la nourriture, qui est d'ailleurs préparée dans son appartement, avant de la servir au sultan. Ensuite, elle règne sans compromis dans le harem de son conjoint. À ce propos, les chiffres avancés par les historiens varient. Certains parlent d'un sérail composé de cinq-cents femmes, pendant que d'autres avancent le chiffre de deux-mille, provenant de toutes les nations. Quoi qu'il en soit, le sérail de Moulay Ismail est gardé par des centaines d'eunuques qui veillent sur la conduite des femmes du roi et qui font leurs provisions et messages. Ces femmes ne vont en ville qu'une fois par an, pour se rendre à la mosquée le jourd'anniversaire de la naissance du Prophète. De plus, elles ne peuvent sortir de leur chambre sans la permission du roi. Seule Zidana a le privilège d'aller où bon lui semble, aussi bien dans le harem qu'en ville. Et pour marquer son pouvoir, elle se promène dans le sérail, en se faisant porter un sabre par une servante qui marche devant elle. De même, elle réserve des traitements cruels à tous ceux et celles qui ne se montrent pas impressionnés par elle.


Inversement, elle intervient auprès du sultan en faveur de ceux et celles qui lui font la cour. C'est d'ailleurs connu : pour obtenir les grâces du roi, il faut passer par Zidana, en lui faisant quelques présents.


L'ascendant qu'a la sultane Zidana sur Moulay Ismail est tel qu'un chroniqueur s'en étonne : « [...] l'on ne comprend point par quel endroit elle a tellement gagné le cœur du roi qu'elle a tout pouvoir sur son esprit et le tourne souvent comme elle veut. J'en ai entendu quelques-uns qui l'attribuaient à magie ». Mais dans une société patriarcale qui, de plus, tolère la polygamie et le concubinage, aussi puissant soit-il, cet ascendant est fragile. Par exemple, pendant un certain temps, Moulay Ismail aimera une autre femme - dont le nom n'a pas été retenu par les chroniqueurs. Et cette femme va devenir sa compagne préférée. Quand elle donne naissance à Mahamet, l'enfant tire le sultan de son indifférence habituelle à l'égard de sa progéniture. S'occupant lui-même de son fils, il lui enseigne les sciences intellectuelles et les exercices guerriers, dont le maniement du sabre et de la lance et le tir à l'arc et au fusil. Dès son jeune âge, Mahamet fera partie des toulbas (docteurs) reconnus du pays. Ses réussites lui valent le surnom de Mahamet al-alim (le savant). Mais elles lui valent également le courroux de la sultane Zidana, puisqu'il semble devenir un rival de son fils Zidan qui, en tant qu'aîné, est l'héritier présomptif au trône. Par conséquent, le dernier rôle politique de Zidana est l'intervention dans le processus de la succession au trône.


La sultane conçoit alors le double projet de se débarrasser de Mahamet et de sa mère. Et il faut croire qu'elle a su acheter au harem les complicités nécessaires pour mener à bien son dessein. En effet, dans un premier temps, elle réussit à faire croire au sultan que sa nouvelle préférée le trompe. Indigné, ce dernier condamne à mort la mère de Mahamet par strangulation. Dans un second temps, Zidana parvient à éloigner Mahamet du royaume. Pour ce faire, elle use de son ascendant sur le sultan pour qu'il lenomme gouverneur du Tafilelt.


Rappelons que Tafilelt est le lieu où le sultan envoie les femmes qui ont cessé de lui plaire, pour qu'elles y vivent avec leur progéniture. C'est également le lieu où il marie ses filles, dont les mères sont des épouses légitimes, parce qu'à en croire les chroniqueurs, les bébés filles des concubines sont étouffées à la naissance. Il faut donc une personne de confiance pour gouverner ce monde cosmopolite de femmes et d'enfants de toutes les races et nations. Mais si la fonction de gouverneur du Tafilelt semble être un poste de confiance, il s'agit en fait d'un exil. Ce n'est donc pas étonnant de voir qu'après un premier séjour au Tafilelt, Mahamet refuse d'y retourner. Loin de réprimander son fils, le sultan le nomme gouverneur de Souss et de sa capitale, Taroudant Derechef, l'implacable Zidana conçoit le projet de se débarrasser du rival de son fils.


Profitant de l'absence de son conjoint, elle envoie une lettre au nouveau gouverneur revêtue du sceau de l'empereur, lui ordonnant d'exécuter un cheikh (un leader religieux) qui est vénéré aussi bien du sultan que de la population. Informé parles enfants de la victime qui réclament justice, le sultan convoque son fils. Contre toute attente, il reçoit de lui la preuve de son innocence, et du même coup celle de laculpabilité de Zidana. Néanmoins, l'ascendant que celle-ci exerce sur le sultan est tel qu'il lui pardonne sans reproches - lui dont la moindre colère est habituellement ponctuée d'un coup de sabre ou suivie d'un envoi aux supplices d'une victime choisie auhasard.


Certaines sources soutiennent que loin de se repentir, Zidana va poursuivre ses intrigues contre Mahamet. Ainsi, elle lui fait croire que son père va lui retirer sa charge dès son retour de la guerre. En tout cas, Mahamet va se révolter contre son père et tenter d'occuper le Maroc en 1703. Néanmoins, son frère et rival Zidan, qui dirige l'armée du sultan, réussit à le vaincre. Une fois capturé, Mahamet est supplicié par son père. Il décède en 1706. Certaines sources attribuent cette mort à la gangrène, d'autres soutiennent que son implacable ennemie, Zidana, l'a empoisonné. Mais si Zidana réussit à se débarrasser une fois pour toutes de Mahamet, son fils, Zidan, n'accédera pas au trône comme elle l'espérait. En fait, ce dernier connaîtra un sort semblable à celui de son rival.


Zidan sera nommé gouverneur de Souss et de sa capitale, Taroudant. Peu de temps après sa nomination, il se soulève contre son père. Comme toutes les tentatives de le faire venir au palais impérial à Meknès ont échoué, le sultan lui envoie divers présents, dont du bon vin et de belles femmes... chargées de le tuer. Zidan meurt donc étouffé pendant qu'il cuve son vin, en 1707.


Si les sources divergent concernant le rôle joué par Zidana durant l'épisode de la rébellion de son fils, une fois ce dernier décédé, elles ne mentionnent plus la terrible sultane.


Zidana est décédée en 1715.


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