
Alger, ville où fut proclamé l’État de Palestine le 15 novembre 1988 à l'occasion de la 19e session extraordinaire du Conseil national palestinien, a longtemps été perçue comme un symbole de résistance, avec ce surnom de « Mecque des révolutionnaires », une expression chère à Amílcar Cabral, leader indépendantiste de Guinée-Bissau. Pourtant, depuis le début de l’offensive meurtrière contre Gaza et la recrudescence de la colonisation et de la répression en Cisjordanie, la capitale algérienne est réduite au silence.
Dans le cadre de la « nouvelle Algérie », concept voulu par les autorités pour se démarquer de l’ère Bouteflika (1999-2019), le pouvoir a rétabli une interdiction de manifester qui n’avait été imposée qu’en 2001, à la suite d’une marche ayant dégénéré en émeute. Le mouvement populaire du Hirak, amorcé en février 2019 et ayant abouti à la chute du président Bouteflika, avait ébranlé le régime par son caractère pacifique. La pandémie de Covid-19, survenue en mars 2020, a offert au régime algérien une opportunité pour réprimer toute forme de contestation et renforcer son emprise.
L’interdiction des marches de solidarité
Les autorités ont mobilisé l’appareil judiciaire pour restreindre sévèrement les libertés publiques, y compris le droit de manifester. Selon Ziad Abdel Tawab, vice-président de l’Institut du Caire pour les études des droits de l’homme, cité par Human Rights Watch, « l’espace civique a été si drastiquement réduit que même les quelques acquis des années 1990 ont disparu ».
Le 13 octobre 2023, alors que la guerre à Gaza s’intensifie, toute tentative de manifestation en soutien aux Palestiniens est brutalement réprimée. Le régime algérien, se positionnant officiellement comme un fervent défenseur de la cause palestinienne, estime qu’il n’est pas nécessaire de manifester. Cette posture suscite frustration et colère sur les réseaux sociaux, où de nombreux internautes dénoncent le paradoxe d’un pays interdisant ces marches alors que des mobilisations massives sont autorisées au Maroc, qui a pourtant normalisé ses relations avec Israël.
Abderrezak Makri, ancien président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), a tenté d’appeler à une manifestation mais a été immédiatement arrêté. Dans une vidéo, il s’indigne de cette interdiction qu’il juge contraire aux valeurs algériennes et exhorte le pouvoir à organiser lui-même les rassemblements : « Sortez et on sera derrière vous ! Nous ne cherchons pas à nous approprier la noble cause palestinienne ! »
Face à la pression, le 19 octobre 2023, des manifestations encadrées sont organisées à travers le pays. Toutefois, elles resteront un événement isolé.
Un soutien en demi-teinte
Le 28 octobre 2023, Makri exprime son amertume sur X (anciennement Twitter) :
« Partout dans le monde, les peuples manifestent contre l’extermination de Gaza et en soutien aux héros qui se battent pour leur terre et Al-Aqsa… Pendant ce temps, notre capitale reste silencieuse, soumise. Le régime a réussi à dompter tout le monde. Félicitations ! »
Figure de l’islam politique en Algérie et potentiel candidat à la présidentielle de décembre 2024, Makri découvre un mois plus tard qu’il fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire national (ISTN), une pratique courante pour restreindre les déplacements des opposants. Il attribue cette mesure à son engagement en faveur de la Palestine, bien que d’autres raisons puissent également être en cause.
Sur le plan officiel, l’Algérie maintient une ligne claire : le Hamas est reconnu comme un mouvement de résistance légitime, et toute normalisation avec Israël est rejetée. Toutefois, au-delà de la rhétorique et des aides financières versées à l’Autorité palestinienne, l’action concrète du pays reste limitée. Les tentatives de médiation entre le Fatah et le Hamas n’ont pas abouti, et le soutien algérien peine à se traduire en initiatives diplomatiques d’envergure.
Une influence en déclin
Les réseaux sociaux demeurent l’un des derniers espaces d’expression relativement libres en Algérie, et de nombreux citoyens expriment leur désillusion face à l’absence de leadership de leur pays sur la scène internationale. Beaucoup notent que c’est l’Afrique du Sud, et non l’Algérie, qui a porté l’affaire du génocide à Gaza devant la Cour internationale de justice (CIJ).
Autrefois fer de lance des luttes anticoloniales et tiers-mondistes, Alger semble avoir perdu de son aura révolutionnaire. La « Mecque des révolutionnaires » n’est plus cette référence incontournable qu’elle était autrefois.
Sources :
Comments