Ce que nous savons de Fatima al-Horra semble être une combinaison de légendes et de faits historiques. Elle a été l'épouse d'Abou Hassan, sultan nasride qui a régné à Grenade de 1464 à 1482, et la mère du dernier sultan arabo-musulman en Espagne, Mohammed XI Abou Abdallah az-Zughbi (l'infortuné), connu sous le nom de Boabdil. D'après les chroniqueurs de l'époque, Fatima al-Horra a été « le génie diabolique » de son fils, et c'est en tant que tel qu'elle a joué un rôle important dans l'histoire politique médiévale méditerranéenne.
Précisons au préalable qu'il y a une confusion au sujet du nom de la sultane mère de Boabdil. Certaines sources l'appellent Aïcha al-Horra, d'autres Fatima al-Horra. Or à ce propos, les recherches menées par l'historien Luis Seco de Lucena méritent d'être plus connues. En étudiant l'arbre généalogique de la grande famille nasride, de Lucena découvre que la sultane se nomme Fatima et qu'elle a pour titre al-Horra (la femme souveraine). De plus, il a réussi à élucider les causes de la confusion: des chroniqueurs ont confondu Fatima al-Horra avec Aïcha al- Horra, l'une des épouses de Boabdil. Quoi qu'il en soit, la sultane Fatima entre en scène politique quand son époux, le sultan Abou Hassan, s'éprend d'une esclave chrétienne, Isabel de Solis, prénommée Turraya (Zoraya dans les sources espagnoles), au point de la délaisser, elle, l'épouse légitime, et de concevoir de céder le trône au fils de Turraya et non à Boabdil, qui est pourtant l'héritier légitime, puisqu'il est l'aîné. Indignée, Fatima al-Horra encourage ses fils à se rebeller contre leur père.
Suivant les conseils de leur mère, les princes rebelles, Abou Abdallah et Youssef, s'enfuient d'al-Hambra durant la nuit et se rendent à Guadix, à proximité de Grenade. Comme le sultan Abou Hassan se trouve à ce moment-là dans une villa de plaisance, Boabdil sera proclamé roi de Grenade par la population le 15 juillet 1482.
Pour comprendre le soutien populaire dont Boabdil a bénéficié à Grenade, rappelons que la dynastie nasride (1232-1492) a consolidé son pouvoir en Espagne, après la chute des Almohades en 1212. Mohammed I ibn Nasr, fondateur de cette dynastie, a reconnu la Couronne chrétienne de Castille et a accepté de lui payer une redevance. En contrepartie, il a obtenu la reconnaissance de son État à Grenade. Il faut préciser ici qu'au milieu du 13° siècle, la reconquista (reconquêtes chrétiennes de l'Espagne musulmane) était presque achevée. Tolède a été conquise en 1085, Cordoue, en 1236 et Séville en 1248. Donc, seule Grenade échappe encore au projet d'unification et de christianisation de l'Espagne.
Pour les deux prochains siècles et demi, Mohammed I ibn Nasr va réussir à raviver les gloires du monde arabo-musulman en Espagne. D'abord, il construit son célèbre palais al-Hambra, que ses successeurs vont agrandir et embellir. De même, il soutient généreusement les arts et les sciences, pratique que ses descendants poursuivront. En abritant de nombreux artistes et intellectuels, la cour nasride devient l'un des centres culturels les plus productifs de la Méditerranée. Par ailleurs, les activités commerciales des Nasrides vont contribuer à faire de Grenade la ville la plus prospère de l'Espagne.
Cependant, à partir de la deuxième moitié du quinzième siècle, le règne nasride devient de plus en plus précaire. D'un côté, Ferdinand, héritier du roi d'Aragon, épouse la princesse Isabelle de Castille en 1469. Or ce mariage annonce l'unification de l'Espagne : les terres chrétiennes sont constituées à l'époque du royaume d'Aragon et du royaume de Castille. De l'autre côté, au lieu de faire face au danger imminent qui pèse sur sa dynastie, le sultan Abou Hassan passe son temps à se divertir avec ses nombreuses esclaves sexuelles. De plus, pour accroître ses finances amoindries par les conflits territoriaux, il accable ses sujets d'impôts et refuse de payer la redevance habituelle à Castille. Cela va sans dire qu'avec de telles politiques, Abou Hassan devient très impopulaire. Aussi, quand Boabdil prend le pouvoir en 1482, il bénéficie du soutien de la quasi-totalité de la population de Grenade. Fatima al-Horra a réussi donc à transférer le pouvoir de son conjoint Abou Hassan, à son fils Boabdil.
De façon similaire, Fatima al-Horra a réussi à libérer Boabdil, quand ce dernier est tombé en captivité. Rappelons qu'en 1483, Boabdil entreprend d'attaquer Lucena, ville de Castille, dont le seigneur Diego Fernandez de Cordoba, un jeune homme d'à peine dix-neuf ans. Vaincu, Boabdil devient le captif d'Isabelle et de Ferdinand. Fatima al-Horra déploie alors tous ses moyens pour libérer son on fils. Ses démarches finissent par aboutir en 1487. Une fois libéré, Boabdil reprend le pouvoir à Grenade.
Toutefois, l'étau se resserre chaque jour davantage autour des souverains musulmans en Espagne. La reconquista continue: Malaga est reconquise en 1487, et Grenade assiégée en 1491. Comme Boabdil refuse de se rendre, Ferdinand, à la tête d'une armée de 10.000 chevaux, envahit les plaines de Grenade, détruit les récoltes et les vergers et assiège la ville. Privé d'eau et de nourriture, Boabdil capitule le 2 janvier 1492.
Lors de cette capitulation, le sultan Boabdil, son épouse, ses enfants et sa mère Fatima al- Horra portent leurs plus beaux vêtements et s'entourent de faste. Puis, ils cheminent la tête haute, loin de Grenade. Des hauteurs d'une colline, Boabdil s'arrête, regarde en arrière, soupire et éclate en sanglots. Fatima al-Horra lui dit alors sa célèbre phrase: «< Ne pleure pas comme une femme pour ce que tu n'as pas su défendre comme un homme ». Désormais, jusqu'à nos jours, les Espagnols désignent les hauteurs de cette colline par << El-ultimo suspiro del Moro » (le dernier soupir du Maure). Mais az-Zughbi (l'infortuné), pouvait-il faire autre chose que pleurer la fin des huit siècles de l'empire arabo-musulman dans la péninsule ibérique ?
Boabdil, son épouse, ses enfants et Fatima al-Horra se sont retirés à Fès et sont décédés au Maroc.
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